Il aurait pu être fonctionnaire ou
sportif racé tant ses potentialités intellectuelles et physiques l’y
invitaient. Mais il s’est jeté corps et âme dans le théâtre depuis près
de deux décennies avec une gourmandise et une passion qui l’ont
rapidement hissé au firmament des arts en Afrique. Récit d’un parcours
riche d’enseignements qui compte se poursuivre pour les années à venir
vers le cinéma.
42 ans de vie, 20 ans de carrière ! A
l’instar de certains de ses congénères, Kocou Gbênakpon Yémandjè aurait
pu faire carrière dans la fonction publique. Mais en lieu et place,
c’est la scène qu’il a épousée et dès son jeune âge. Lui, le sort, ou le
destin c’est selon, avait prévu d’en faire un acteur. Un homme que le
monde entier viendrait voir. Gbênakpon, le prénom traditionnel donné à
cet enfant né dans l’une des familles royales d’Abomey, signifie
littéralement «Le monde viendrait te voir». Baccalauréat série D en
poche, le jeune Kocou aurait pu également s’incruster dans la vie
active, après des études universitaires, pour faire le «Akowé»,
appellation donnée par ici aux cadres fraichement recrutés dans
l’administration. Mais il n’en sera rien ! Le péché, c’est sans doute à
Alougbine Dine, comédien et metteur en scène, ancien directeur du
Festival international de théâtre du Bénin (FITHEB) et fondateur de
l’EITB (Ecole internationale de théâtre du Bénin) qu’il faudra
l’imputer. C’est lui qui, interprétant majestueusement sur scène «Le
songe d’une nuit d’été de Shakespeare», a définitivement convaincu Kocou
que son rêve de devenir comédien est une noble ambition. Depuis lors,
il ne s’en est plus écarté. Avec la scène, il a scellé une alliance qui
vole de succès en succès depuis 19 ans.
Rêveur et voyageur
Rêveur déjà dès son plus jeune âge,
Kocou va se révéler un voyageur infatigable. La plupart des grandes
scènes, d’Europe, notamment de la France et d’Allemagne, lui sont
familières. Il y a fait parler son talent plus d’une fois. Talent dont
l’un des révélateurs se trouve être Ousmane Alédji, directeur fondateur
du centre culturel Arttistik-Africa à Cotonou (Bénin). Ce pan de sa
carrière, il le raconte volontiers, l’émotion presqu’à fleur de peau.
«Ma rencontre avec Ousmane Alédji a été déterminante dans ma carrière.
Le rôle de Patrice Emery
Lumumba que j’ai tenu dans son
spectacle Imonlè m’a ouvert beaucoup de portes». Cette même aubaine
apportera de nombreux autres déterminants dans la vie et la carrière du
jeune comédien qui, déjà en fin d’année 1998, officiait en tant que
premier porteur et deuxième assistant à la réalisation lors du tournage
du long métrage Barbecue-Pejo du réalisateur béninois Jean Odoutan.
Modeste,
parfois exagérément, il définit sa carrière comme «celle de tout
artiste», faite «de rencontres, de hasards, de sacrifices, de
découvertes…». Mais elle lui est «douce et fructueuse». Sans doute !
Surtout lorsqu’on a du talent et qu’on sait compter sur de bonnes gens.
Tout ne fut néanmoins pas si rose. «J’ai appris avec le temps qu’il ne
faut compter que sur soi-même en premier, et en second lieu construire
son propre réseau», confesse le comédien. Pour preuve, la plupart des
metteurs en scène qui l’ont dirigé sont étrangers. S’il garde des
souvenirs avec la France où sa collaboration avec le théâtre de Folles
Pensées dirigé par Roland Fichet en Bretagne (France) lui a fait
rencontrer des artistes magnifiques, c’est encore au Cameroun qu’il dit
beaucoup devoir. Il se définit ainsi comme l’un des meilleurs imitateurs
de l’humoriste camerounais Jean Miché Kankan qui a fortement
«influencé» sa carrière, se satisfait-il. Avec le Cameroun, c’est une
autre histoire, dira-t-on alors, quand le comédien confesse y avoir
rencontré un autre grand acteur du monde théâtral et artistique, Marc
Guy Tony Mefe, qui lui «a tenu la main». Sauf que de plus en plus, le
poucet voyageur d’antan perd de sa superbe. «Ces derniers temps, je
limite volontairement mes voyages pour mieux me consacrer à mes études
dans le domaine de la réalisation de film. J’ai des ambitions
cinématographiques».
Carrière heureuse
Kocou Gbênakpon ne chôme pas. En mai
2016 à Agboville (à 50km d’Abidjan en Côte d’Ivoire), il a créé Le
miroir des mœurs confus de l’auteur dramatique camerounais Wakeu
Fogaing. Un spectacle produit par la compagnie Siamois Expressions de la
Côte d’Ivoire. C’est un monologue joué par la comédienne Delphine
Yoboué, directrice du Festival international de Théâtre d’Abidjan. La
première mondiale du spectacle est prévue pour bientôt en Côte d’Ivoire.
Comme si ce mois était source d’inspiration pour lui, il a aussi créé
Le bal des loups cannibales de l’auteur dramatique camerounais Tony
Mefe. Cette création est une production du FITHEB tenu il y a quelques
mois à Cotonou et l’équipe se prépare actuellement pour la phase
migratoire du même festival. Presqu’un an auparavant, en novembre 2015,
il avait déjà créé Village Fou de l’auteur dramatique Franco-ivoirien
Koffi Kwahule, avec sur scène 14 comédiens de la troupe nationale de
théâtre.
Avec son «Théâtre Kocou» créé au début de sa carrière, il
mène aussi des activités directement liées à ses activités de metteur en
scène. «Des collaborations avec d’autres compagnies sont courantes»,
s’enorgueillit-il. Les échos sur la satisfaction qui se dégage de son
travail lui parviennent souvent. «Si on dit de moi que je ne jure que
par le travail bien fait, j’avoue que ça me fait plaisir» ; modestie
vite ravalée lorsqu’il confirme : «J’aime le travail bien fait pour la
simple raison que c’est ce qui vous fait mériter le respect des autres.
Je ne saurais dire avec précision ce qui me donne une telle réputation,
mais j’ose croire que c’est le résultat de mon travail».
Ambition…
Le théâtre béninois et africain dans
cinq ans ? Difficile pour lui de l’entrevoir «quand on sait qu’il ne se
fait pas grand choses pour aller dans le bon sens». La question de
formation et de la qualification restent primordiales, avance-t-il. Et
dans «un pays comme le nôtre par exemple, où nous avons, qu’on le
veuille ou non, un fonds d’aide avec un budget significatif, il est
inconcevable que la création artistique à tous les niveaux soit rare,
alors que l’argent coule à flot», s’offusque le metteur en scène.
Conclusion, «On ne pourra donc rien envisager dans cinq ans ni dans un
siècle, si le statut de l’artiste ne devient pas effectif. Il faut un
théâtre qui parle», préconise aussi le comédien qui dit travailler
actuellement sur «la manière de faire un théâtre accessible à nos
populations». Une vision qui le travaille depuis quelques années. Mais
c’est beaucoup plus vers le cinéma que se tournent ses ambitions
imminentes. En plus de la formation qu’il suit actuellement dans le
secteur, Kocou Yémandjè souhaite finir sa carrière, non pas seulement
comme un comédien avec qui l’Afrique doit compter, mais aussi en tant
qu’acteur hollywoodien.